« D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »
Paul Gauguin, 1898 – Musée des Beaux-Arts, Boston
Gauguin a peint ce tableau à la fin de sa vie à Tahiti et il représente l’apogée de sa pensée concernant l’origine et le sens de la vie humaine. Il pose 3 questions qui sont fondamentales du point de vue psychologique.
On pourrait les phraser ainsi : est-ce que le passé est bien passé ? Est-ce qu’il affecte le présent et donc l’avenir ? Plus concrètement, comment s’est mise en place notre personnalité ? Est-ce que les affects du passé altèrent notre présent, et par conséquent notre avenir ?
Nous allons aborder cette œuvre d’art du point de vue de la psychologie Jungienne, et plus particulièrement la source de l’énergie vitale. Ce n’est qu’un enseignement parmi de nombreux autres que révèle cette peinture.
Concentrons-nous sur la partie droite du tableau avec les quatre personnages. Un enfant est allongé sur le sol, la tête tournée vers la droite et les jambes croisées. Un jeune couple peint de couleur claire lui fait face ; l’homme porte sa main droite au menton tandis que la femme porte sa main gauche à la bouche. Il a la tête droite alors qu’elle a la tête inclinée, et il croise les jambes comme l’enfant. Une femme corpulente, plus âgée, au torse dénudé et peinte de couleur foncée tourne le dos à l’enfant.
Cette description nous informe de la présence de similarités : deux femmes, croisement des jambes, comportement penseur, proximité de l’enfant, ainsi que de contraires : homme et femme, jeune et âgé, habillé et dénudé, couleur claire et foncée, droit et incliné.
Gauguin semble dire que la nature humaine est faite d’aspects similaires et d’aspects contraires. Par exemples, une petite fille peut avoir des ressemblances physiques et psychologiques avec sa mère, et chaque être humain est composé de contraires : force et faiblesse, masculin et féminin, positif et négatif, etc.
Maintenant, remarquons la figure féminine bleue à l’arrière plan gauche. Elle est en retrait, et pose comme si c’était une déesse. Pour le peintre, elle signifie l’au-delà, c’est-à-dire le monde supraterrestre ou céleste.
Si on interprète cette œuvre du point de vue de la psychologie Jungienne on comprend que :
1) le monde de l’au-delà correspond au monde au-delà de l’ego, de la conscience, c’est-à-dire l’inconscient.
2) au début de notre vie deux images différentes de mère sont présentes : la mère personnelle qui porte et donne naissance à la vie physique et la mère supra-personnelle ou archétypale qui donne naissance à la vie psychique.
Jung considère l’inconscient comme une source de vie. Ce dernier se comporte comme une mère envers la conscience.
« La conscience ne se crée pas d’elle-même – elle provient de profondeurs inconnues. […] Elle est comme un enfant qui naît chaque jour de la matrice primordiale de l’inconscient » (1)
Pour Jung, l’inconscient vient en premier et la conscience suit. Les archétypes, ou possibilités de représentations, sont présents dans l’inconscient collectif.
« L’inconscient collectif contient la totalité de l’héritage spirituel de l’évolution de l’humanité qui nait à nouveau dans la structure du cerveau de chaque individu » (2)
Autrement dit, les archétypes sont hérités, communs à tous les êtres humains, et existent depuis l’aube de la vie. Si nous prenons l’archétype « Mère », cela signifie que chaque être humain a la possibilité d’avoir une idée et/ou image de « Mère ». Cette idée/image est colorée par les interactions avec la mère personnelle.
Dans notre contexte, nous retrouvons ces deux mères : nous pourrions dire que la figure bleue correspond à l’image de la Mère archétypale, et la jeune femme face à l’enfant correspond à l’image de la mère personnelle.
Gauguin a compris qu’il existait deux sources différentes de vie, et il a représenté cette compréhension dans cette œuvre magnifique.
« D’où venons-nous » ? D’une matrice maternelle individuelle ainsi que d’une matrice maternelle universelle.
« Que sommes-nous » ? Une totalité faite de contraires : à la fois consciente et inconsciente, personnelle et générale.
« Où allons-nous »? La réponse à cette question dépend principalement de notre capacité à comprendre cette totalité, à la vivre en trouvant l’équilibre entre nos différents contraires.
REFERENCES:
(1) Jung, CW 11, paragraphe 935
(2) Jung, CW 8, paragraphe 321
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